Une formule fréquemment évoquée est celle de la dématérialisation de l’économie, qui résulterait du rôle crucial des techniques de l’information dans l’ensemble de l’économie, de la tertiarisation de la production et de la consommation croissante de services par les ménages. Cette tendance se traduit-elle par le déclin des mouvements de produits physiques ?
Michel Savy nous propose un extrait de l’ouvrage qu’il vient de terminer à paraitre dans quelques semaines : Le Transport de marchandises : économie du fret, management logistique, politique des transports (Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2017).
Des données statistiques pluriannuelles étayent la réponse à cette question. On mesure en effet la consommation matérielle intérieure (domestic material consumption, DMC) comme le montant total des biens matériels utilisés par une économie nationale. Cette consommation se compose de la quantité de matières premières extraites du territoire national, plus toutes les importations de biens physiques et moins toutes les exportations de biens physiques. On mesure par ailleurs les volumes de transport de marchandises, répartis par type de produits, mode de transport, etc.
L’exemple bien documenté de la France, pays développé marqué par la désindustrialisation, est significatif. On constate que le montant de la DMC par habitant ne diminue pas au fil des ans : entre 2003 et 2013, il est resté de l’ordre de 13 t par habitant, tous produits confondus, alors que dans le même temps, la population est passée de 62 à 66 millions d’habitants. En effet, d’une part, la productivité de l’usage des ressources croît (mesurée par le ratio du PIB à la DMC) et tend à diminuer la DMC, d’autre part la croissance économique tend à l’augmenter.
Cette stabilité de la consommation matérielle par habitant se traduit dans le volume de transport de marchandises. On transporte ainsi 33 tonnes de fret par an et par habitant (en termes de tonnes de transport intérieur, tous produits et tous modes de transport terrestre confondus)(*).
Le ratio du volume total de fret à la DMC mesure un coefficient de déplacement des biens matériels. Chaque tonne consommée est transportée en moyenne 2,6 fois par an, et cette fréquence se maintient globalement au fil des ans.
Loin d’être immatérielle, l’économie moderne se caractérise par des flux croissants de produits physiques, à l’échelle mondiale, répartis en un nombre croissant d’expéditions. Le transport de fret et la logistique jouent un rôle plus important que jamais dans le système de production et de distribution.
(*) Ce chiffre est par prudence sous-estimé. Les statistiques ne couvrent pas le transport routier effectué par des véhicules immatriculés à l’étranger, ni le transport effectué par des véhicules utilitaires légers (VUL, de moins de 3,5 t de poids total), ni le transport effectué par les ménages avec leurs propres moyens. On retiendra que l’on transporte environ 100 kg de fret par jour et par personne.
Source des données du graphique :
Site du ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer : http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/donnees-ligne/r/flux-marchandises-sitram-i.html et http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/299/1161/consommation-interieure-matieres-france.html