L’avenir des transports vu par le Collège de France

Michel Savy

Président du conseil scientifique de TDIE

Le Collège de France, haut lieu d’enseignement et de recherche, se distingue notamment par l’accueil d’auditeurs à ses cours sans condition d’inscription ni d’examen. Poussant plus loin cette ouverture et pour prendre part à certains débats majeurs de notre société, le Collège a lancé l’opération Avenir commun durable (énergie, environnement, société). Pour mener la nécessaire transition écologique et énergétique, « la volonté des professeurs du Collège de France [est] de s’engager et prendre part à ce combat. Leur ambition : croiser leurs expertises scientifiques, diffuser des données fiables pour contrer les fausses informations et alerter sur l’absolue nécessité d’agir ».

Dans ce cadre, une journée entière intitulée Demain les transports a été organisée le 7 novembre 2022 (l’importance des transports dans les préoccupations générales de développement durable n’a pas à être démontrée ici). Il serait vain de prétendre en résumer les apports en quelques lignes. La liste des interventions et des intervenants en dit la diversité et la tenue :

  • Les véhicules électriques dans le contexte du développement durable, Marc Concave et Jean-Marie Tarascon, Collège de France
  • L’hydrogène pour les transports de demain, Nathalie Schmitt, Air Liquide
  • Quels carburants alternatifs dans le transport de demain ?, Jean-Philippe Héraud, IFPEN
  • Le véhicule autonome: avancées et défis, Patrick Perez, Valeo
  • Le carbone des transports : casse-tête économique, par Marc Ivaldi, Toulouse School of Economics
  • Transports alternatifs dans la ville de demain : quelles mobilités pour la réappropriation des espaces publics ?, Patrizia Ingallina, Sorbonne Université
  • Pour un renouvellement historique des transports, penser la mobilité suffira-t-il ?, Mathieu Flonneau, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • L’encadrement juridique des voitures autonomes : quelle(s) responsabilité(s) ?, Marie Dugué, Université de Tours
  • Les ressources minérales, le nouveau défi de la mobilité décarbonée, Christophe Poinssot, Bureau de recherches géologiques et minières

Quelques idées fortes se dégagent – à mon sens – de cette riche journée :

  • le caractère systémique de la démarche. L’ampleur et la complexité des questions soulevées appellent l’intervention de spécialistes de la recherche fondamentale et appliquée, du développement industriel des innovations et enfin des sciences humaines. Certains ressortissent au monde académique, d’autres au secteur privé.
  • les grandes marges de progrès de la recherche fondamentale et appliquée. Le progrès scientifique et technique est un facteur majeur pour l’accès à un développement durable. Pour autant, le changement est un phénomène social global où les spécialités « dures » des deux organisateurs de la journée (la chimie du solide et de l’énergie pour Jean-Marie Tarascon et la chimie des processus biologiques pour Marc Fontecave) doivent composer avec la géopolitique, l’économie, l’urbanisme, le droit, etc. dans une logique interdisciplinaire.
  • le caractère critique de la situation. Même si l’on abuse souvent du mot crise, la situation en matière de dérèglement climatique (en France et bien au-delà) appelle une mutation écologique et énergétique radicale, difficile à concevoir, mettre en œuvre, financer, faire accepter, et pourtant indispensable.
  • le risque de pénurie de produits indispensables aux techniques nouvelles. Les mutations qui s’engagent sont largement fondées sur la production d’électricité décarbonée comme substitut aux énergies fossiles. Elles font appel à des ressources (nickel, cobalt, lithium notamment, pour la fabrication des batteries électriques et des éoliennes) très inégalement disponibles dans le monde et dont l’accès est déjà largement contrôlé par certains États. La Chine en détient sur son sol et, de surcroît, domine l’industrie internationale de leur raffinage. Le sous-sol de la France n’est pas sans richesses, en lithium notamment : pourra-t-on en lancer l’extraction plutôt que de dépendre d’importations ? La recherche d’autonomie stratégique (et géopolitique), formule couramment utilisée en Europe à propos du gaz, a ici tout son sens.
  • les coûts élevés de ces changements. Les effets d’apprentissage et les économies d’échelle les réduiront au fil du temps, mais comment les financer et en répartir la charge, qu’il s’agisse des investissements de recherche, des investissements de mise en œuvre puis de leur exploitation ?
  • la nécessité d’une planification à moyen et long termes. La logique du marché n’est pas à même d’engager des dépenses très importantes, au succès scientifique et technique incertain, à la rentabilité financière imprévisible (mais à la rentabilité sociale potentiellement considérable). Seuls les États et les coopérations interétatiques sont capables d’une telle anticipation, associant acteurs publics et privés dans leurs rôles respectifs.
  • la concurrence internationale très vive. Qu’il s’agisse de l’accès aux ressources rares ou, de manière plus immédiatement opérationnelle, de la production des équipements durables de production et de stockage d’électricité ou de véhicules électriques, l’industrie chinoises a une notoire longueur d’avance (une automobile électrique chinoise coûte environ 10 000 euros de moins que son équivalent européenne). Quelle protection de cette industrie naissance l’Union européenne mettra-t-elle en place ?

Dans ses conclusions, l’organisateur de la journée insista enfin sur la nécessité d’une approche rationnelle et informée de ces questions complexes, lourdes d’émotions, d’intuitions, de préjugés et, selon la formule actuelle, très « clivantes ». Au Collège de France, pas de place pour la mise en doute de la pensée scientifique, les fake news et l’obscurantisme ! La science et la technique ont un rôle majeur à jouer dans la recherche des solutions, sans perdre de vue le rôle crucial des pratiques sociales et la nécessité d’une démarche politique permettant la participation et l’adhésion des citoyens aux changements nécessaires.

Modestement et à son échelle, TDIE s’inscrit dans une telle démarche d’éclaircissement des problèmes, des solutions, des voies qui y conduisent. Le think tank a ainsi inscrit à son programme l’observation et l’analyse du processus de « planification écologique » en cours dans notre pays et dans son environnement européen…


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