Le discours d’Ursula von der Leyen devant le nouveau Parlement : une ambition en demi-teinte ?

Patrick Faucheur

Membre du conseil scientifique de TDIE

Après que les chefs d’Etat et de gouvernement se sont accordés au sein du Conseil européen sur sa reconduction à la présidence de la Commission européenne et avant sa réélection par le Parlement européen, Ursula von der Leyen a présenté ses orientations devant le nouveau Parlement lors de sa session d’installation mi-juillet.  L’enjeu était particulièrement important : elle devait convaincre une majorité au sein d’une assemblée présentant des différences significatives par rapport au Parlement élu en 2019, avec une montée en puissance des conservateurs et eurosceptiques et une baisse significative des Verts et des Libéraux. Son discours semble avoir été convaincant, puisqu’alors qu’en 2019 elle n’avait obtenu que neuf voix au-delà de la majorité, elle a obtenu, pour cette élection, quarante et une voix d’avance. En réalité son intervention a semblé surtout répondre à l’impératif de trouver une majorité, rassemblant les deux groupes majoritaires, le Parti populaire européen (qui a gagné douze sièges) et les Sociaux-démocrates (qui en a perdu trois), et les Libéraux et les Verts (qui en ont perdu respectivement 25 et 18). Plutôt que d’avancer de grandes priorités, elle a multiplié les annonces sur des sujets à même de rencontrer le soutien des différentes tendances qui composent la coalition sur laquelle elle entend s’appuyer.

Un discours mesuré pour rassembler le plus largement

La poursuite du Pacte vert, sa grande priorité du mandat qui s’achève et sujet très attendu de l’ensemble des forces politiques, constituait pour elle un défi majeur dans un contexte où la première force politique du Parlement, le Parti Populaire Européen, dont elle est issue, avait émis de fortes réserves sur sa mise en œuvre, et où les Verts et les Libéraux étaient en recul. Avançant la perspective d’un « Pacte vert pour l’Europe en action », elle a indiqué qu’elle entendait en maintenir le cap, sans être très explicite sur la mise en œuvre des prochaines étapes, tout en insistant sur une approche pragmatique et sur un renforcement de ses liens avec l’économie et l’industrialisation pour servir la prospérité et la compétitivité de l’Union européenne. A cet effet, elle a proposé un nouveau « Pacte vert pour une industrie verte », destiné à orienter les investissements vers les infrastructures et l’industrie à faible émission. Si les objectifs de la loi climat pour 2030 et 2050 sont maintenus, elle a repris la proposition publiée par la Commission le 6 février 2024 qui prévoit de fixer une cible intermédiaire de réduction des émissions de 90 % à échéance 2040. A aucun moment, elle n’a semblé, toutefois, remettre en cause les avancées résultant des textes du paquet « ajustement pour l’objectif de réduction à 55 % » (Fit For 55), dont par exemple l’interdiction des véhicules à moteur thermique après 2035.

Pour mener à bien les transitions attendues. Ursula von der Leyen a évoqué des besoins de davantage d’investissement dans de nombreux domaines, sujet qui devrait être pris en compte par le mandat qui s’ouvre. Anticipant les conclusions du rapport Draghi (publié le 9 septembre), elle a préconisé l’achèvement de l’union des marchés de capitaux, considéré comme une étape clef de la stratégie de compétitivité de l’Union et qui devrait permettre la mobilisation d’un montant plus important de financements privés, en même temps que l’apport de financements publics avec un nouveau fonds pour la compétitivité. Or le plan de relance Next Generation EU adopté pour faire face au choc de la pandémie de covid 19 et qui a permis un soutien important à l’économie de l’UE, n’est mobilisable que jusqu’en 2026. Le remboursement de l’emprunt commun devant commencer en 2028, il pèsera d’ailleurs particulièrement sur le prochain cadre financier pluriannuel (2028-2035) dont la Commission doit présenter une première esquisse à l’été 2025.

Europe’s choice : des lignes directrices plus fortes dans le document d’accompagnement de son discours

Pour compléter un discours où manquaient des axes forts comparables à l’impulsion qu’elle avait donnée en 2019, Ursula von der Leyen avait transmis préalablement au Parlement un document intitulé Europe’s choice qui définit plus précisément des lignes directrices pour les prochaines années. Plus que son discours au Parlement européen, ce document constitue des orientations vers lesquelles elle entend engager l’Union européenne au cours des prochaines années.

Après un rappel de la conviction qu’elle entend partager que « seule l’Europe peut être à la hauteur des défis générationnels dans ce monde instable – qu’il s’agisse de soutenir l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra, de protéger la planète, de garantir l’équité sociale, de défendre la démocratie, de soutenir les moyens de subsistance, les industries et les agriculteurs, ou d’être à la pointe des avancées technologiques qui façonneront le monde pour le reste de ce siècle », Ursula von der Leyen a décliné des objectifs pour l’Union européenne pour 2030 et au-delà : défense et sécurité, prospérité durable et compétitivité, démocratie et équité sociale, un rôle moteur dans le monde et l’avenir de l’Union européenne.

S’agissant de la prospérité durable et de la compétitivité elle met en avant le marché unique considérant toutefois qu’un nouvel élan est nécessaire pour parvenir à son achèvement notamment dans les services, l’énergie, la défense, la finance, les communications électroniques et le numérique. Elle indique toutefois que l’Union européenne a besoin d’une nouvelle politique de concurrence mieux adaptée à ses objectifs et plus favorables aux entreprises qui se développent sur les marchés mondiaux. Elle insiste enfin sur la simplification des normes européennes et l’élimination des chevauchements et des incohérences pour faciliter la vie des entreprises et le développement des affaires.

Dans ce document, sans mentionner explicitement le Pacte vert européen, mettant en parallèle l’industrialisation de l’Europe et sa décarbonation, Ursula von der Leyen avance la perspective d’un nouveau plan pour une industrie propre et décarbonée, évoquant de prochains textes sur l’accélération de la décarbonation industrielle, du recours aux technologies propres et de l’économie circulaire.

Elle fait quelques références à la mobilité. Rappelant l’objectif de la neutralité climatique pour les voitures après 2035, elle considère que celui-ci est de nature à inciter les constructeurs à s’engager dans une certaine prévisibilité et qu’il convient d’adopter une technologie techniquement neutre dans laquelle les biocarburants électroniques doivent avoir leur place, mentionnant à cet effet une évolution des textes européens correspondant. Faisant par ailleurs le constat que les voyages transfrontaliers par train sont trop compliqués pour de nombreux citoyens, elle propose un billet unique provenant d’une seule plateforme et bénéficiant des droits des passages sur l’ensemble du parcours. La Commission proposera, à cet effet, un règlement sur la réservation numérique et une billetterie unique pour les trajets transfrontaliers en train.

Le document Europe’choice se poursuit sur les autres objectifs évoqués :

  • Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes ;
  • Soutenir les personnes, renforcer nos sociétés et notre modèle social, point dans lequel un renforcement de la politique de cohésion est évoqué avec un soutien aux investissements nécessaires dans les régions dont ceux en matière de transport ;
  • Préserver notre qualité de vie : sécurité alimentaire, eau et nature ;
  • Protéger notre démocratie, défendre nos valeurs ;
  • L’Europe dans le monde : tirer parti de notre puissance et de nos partenariats ;
  • Agir ensemble et préparer l’Union européenne à l’avenir, avec un budget européen modernisé et renforcé, plus ciblé et plus efficace.

Le document se conclut par l’énoncé d’un programme de réformes ambitieux dont certaines nécessiteront une modification des traités, notamment pour garantir un bon fonctionnement d’une Union européenne élargie et renforcer le partenariat entre les institutions européennes en particulier entre la Commission et le Parlement en matière d’initiative législative.

Une présidence sous surveillance des équilibres fragiles du nouveau Parlement européen ?

En définitive, le discours d’Ursula von der Leyen au Parlement est loin d’un programme quinquennal pour le mandat, comme ce fut le cas en 2019. C’est pourquoi il faudra attendre les évolutions que dessineront les programmes annuels de la Commission pour vérifier que les grandes lignes qui ont été énoncées dans ce document d’orientations trouvent effectivement leur concrétisation sur le moyen terme des cinq ans de mandat. À cet égard, le Parlement ayant renouvelé le mandat d’Ursula von der Leyen jouera un rôle clé. La Présidente de la Commission devra en effet s’assurer qu’elle conserve cette confiance de la coalition qui l’a soutenue.

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