Avec le Green Deal européen (décembre 2019) et la loi européenne sur le climat (2020), l’Union européenne s’est fixée comme objectif contraignant la neutralité carbone d’ici 2050, avec une étape intermédiaire de réduction d’au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030. Relevant ainsi son ambition par rapport aux objectifs fixés en 2014, l’Union européenne doit, dès lors, réviser et renforcer sa législation en vigueur relative à la lutte contre le changement climatique dans les différents domaines concernés. C’est l’objet du Paquet Fit for 55 proposé par la Commission européenne en juillet 2021. Il comprend huit propositions de révision de textes en vigueur, et cinq nouveaux projets législatifs ; il constitue une réponse globale couvrant tous les secteurs d’activités émetteurs de GES.
Une ambition globale au défi des approches sectorielles
Au-delà de chacun de ces treize textes, cette nouvelle dimension constitue une première difficulté pour les travaux des deux co-législateurs de l’Union européenne du fait de leur organisation sectorielle, qu’il s’agisse des formations du Conseil ou des commissions du Parlement. L’enjeu pour ces institutions est ainsi double, d’une part maintenir un niveau élevé d’ambition pour chacun des textes et d’autre part garantir la cohérence d’ensemble du paquet.
C’est dans ce contexte que le Parlement et le Conseil de l’Union européenne se sont saisis dès l’été 2021 des propositions de la Commission. Les présidences successives du Conseil, dont la présidence française et les commissions du Parlement se sont fortement mobilisées. Elles ont conclu ou sont sur le point de conclure, s’agissant du Parlement, les accords leur permettant d’engager les négociations interinstitutionnelles dans le cadre des trilogues et d’escompter l’adoption des textes qui composent le paquet dès la fin de cette année, ou au cours des premiers mois de 2023.
Quatre volets structurants du paquet Fit for 55
Le premier volet du paquet porte sur le renforcement du système d’échange de quotas d’émission de carbone au sein de l’UE avec deux objectifs : réduire la quantité de GES émise par les installations couvertes par la législation en vigueur, dont le transport aérien, et élargir celle-ci à d’autres secteurs dont le transport maritime et le transport routier. En complément, la Commission européenne a proposé la création d’un Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) pour limiter les fuites de carbone, ainsi que la mise en place d’un Fonds Social pour le Climat destiné à aider les entreprises et les particuliers confrontés à des travaux importants de rénovation énergétique.
Le deuxième volet du paquet a trait au marché européen de l’énergie, à travers la révision de plusieurs directives spécifiques. Il porte une nouvelle ambition pour les énergies renouvelables avec un objectif de 40 % de production d’énergie renouvelable, un relèvement de la taxation des combustibles fossiles, notamment pour les énergies les plus polluantes, et son extension aux transports aérien et maritime.
Le troisième volet porte essentiellement sur la politique des transports au travers de quatre textes majeurs. Le premier concerne la norme fixant les standards d’émissions de CO2 des véhicules particuliers et des utilitaires, laquelle reviendrait à réduire de 100% les émissions des nouveaux véhicules, c’est-à-dire à interdire la commercialisation de véhicules thermiques au sein de l’UE à partir de 2035. Le deuxième texte est une proposition de révision de la directive sur le déploiement des carburants alternatifs qui vise à assurer un déploiement optimal des bornes de recharge des véhicules électriques sur le continent, y compris dans les ports et les aéroports. La Commission propose d’imposer une distance maximale de 60 kms entre deux bornes, mais aussi un déploiement des infrastructures de recharge à hydrogène. Enfin, deux nouvelles directives, la ReFuelUE Aviation Initiative et la FuelEU Maritime Initiative poursuivent un objectif similaire de décarbonation, en imposant notamment un niveau minimum de consommation de biocarburants à l’échéance de 2030.
Le dernier volet est relatif à la gestion des sols et des forêts afin d’assurer leur capacité à compenser les émissions de GES des autres secteurs.
Des divergences entre le Conseil et le Parlement à régler dans le cadre des trilogues
Si le Conseil et le Parlement sont parvenus chacun de leur côté à des accords, ou susceptibles pour ce dernier d’y parvenir sur les derniers textes en discussion (concernant notamment le recours aux énergies renouvelables et l’efficacité énergétique), c’est au prix d’amendements aux propositions de la Commission qui ont conduit pour certains à affaiblir le texte et pour d’autres à le renforcer, en fonction des sensibilités propres à chacun des deux législateurs. Plusieurs sujets laissent apparaitre des divergences qui nécessitent des négociations pour trouver les solutions les rapprochant. Ce sera l’objet des trilogues organisés dès le mois de juillet, et qui vont se poursuivre au cours des prochains mois.
C’est d’abord la question de la réduction des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers. Si les deux institutions partagent la position que dès 2035, tous les véhicules neufs mis en vente dans l’Union européenne devront être à « zéro émissions » et s’accordent sur les objectifs intermédiaires (-55 % des émissions pour les voitures et -50 % pour les camionnettes en 2030), le Conseil ne condamne pas définitivement les moteurs à combustion thermique, à condition qu’ils n’émettent pas de CO2. Il a ainsi demandé que la Commission procède à un état des lieux en 2026 pour évaluer les progrès réalisés en vue de l’objectif « zéro émission » et, si nécessaire, propose de réexaminer les dispositions au regard des évolutions technologiques, en particulier dans le domaine des hybrides rechargeables et des carburants alternatifs.
Un autre point de divergences entre le Parlement et le Conseil concerne les modalités de mise en œuvre des dispositions contenues dans les propositions législatives, et plus particulièrement leur calendrier. C’est, par exemple, le cas pour l’inclusion du transport maritime dans le système d’échange de quotas d’émission, mais aussi du transport routier et du bâtiment, le Parlement s’étant accordé différemment du Conseil pour ces derniers, sur une limitation dans un premier temps aux entreprises et une extension aux particuliers dans un deuxième temps à partir de 2029.
Sur le système d’échange de quotas d’émission de carbone, outre la demande du Conseil de traiter de manière particulière les territoires insulaires, la date de la fin progressive des allocations de quotas gratuits aux secteurs couverts par le mécanisme d’ajustement carbone, en particulier l’aviation, n’est pas consensuelle à ce jour. Le Conseil s’est accordé pour repousser la date de leur disparition totale en 2035, alors que le Parlement s’est prononcé sur l’échéance de 2032. Cette approche différenciée est aussi à rapprocher des positions des deux co-législateurs sur le Fonds social pour le climat. Destiné à atténuer le coût de la transition pour les entreprises et les particuliers, il doit être alimenté par les recettes du nouveau marché carbone. Le Conseil, à l’issue de nombreuses discussions, en a fixé le montant à hauteur de 59 milliards d’euros pour la période 2025-2032. Le Parlement a, quant à lui, limité le montant du fonds à 16,4 milliards d’euros pour une première période allant jusqu’en 2027 mais s’est accordé sur un montant de 72,2 milliards après 2032, suivant en cela la proposition de la Commission.
Afin de régler ces différences d’approche et de parvenir à des consensus permettant l’adoption des textes du paquet, les négociations interinstitutionnelles entre le Parlement, le Conseil et la Commission viennent d’être engagées. Un premier trilogue s’est ainsi tenu mi-juillet sur la révision du système d’échange de quotas d’émission de carbone. Au-delà d’une convergence de vues sur l’inclusion du maritime, sur une ambition accrue de réduction des émissions et sur la question du chauffage et du transport routier, c’est sur le calendrier de mise en œuvre qu’il conviendra de trouver au cours des prochains mois les consensus entre les trois institutions. D’autres trilogues suivront pour traiter l’ensemble des points de divergence et dégager les voies du consensus, notamment sur deux points essentiels, le montant du Fonds Social pour le climat, et la question de la date de 2035 pour l’inclusion ou non des véhicules particuliers et utilitaires à moteur thermique.
L’échéance de la prochaine Conférence sur le climat à Charm-el-Cheikh (COP 27) en novembre 2022 pourrait aider à la conclusion des accords recherchés, l’Union européenne souhaitant présenter un plan ambitieux pour s’affirmer comme leader au plan mondial.