La vaste question de la planification écologique était le thème de la journée de réflexion organisée par France Logistique à l’Assemblée nationale, le 9 novembre 2023. France Logistique est la plateforme qui regroupe l’ensemble des professions de la logistique et qui, outre ses réflexions propres, contribue à la préparation du Conseil interministériel pour la logistique qui se tient chaque année. La création du Cilog en 2020 a attesté la reconnaissance de l’importance de la logistique dans le fonctionnement de l’économie et de la société et sa prise en compte au niveau gouvernemental (avec la participation des ministres en charge des transports et de l’industrie).
La démarche de France Logistique s’inscrit dans la planification économique et écologique et le revendique : on est loin du laisser-faire. La décarbonation de la logistique cinétique, le transport de fret, est impérative. Quant à la logistique statique, sa décarbonation est également nécessaire mais, tout en requérant des investissements importants, semble moins problématique : il y a déjà des entrepôts à « énergie positive » qui produisent plus d’électricité qu’ils n’en consomment grâce aux cellules photovoltaïques placées sur leur toit.
Dans un effort de couverture d’un champ très large et de réflexion prospective, plusieurs tables rondes ont réuni des intervenants de haut niveau : professionnels (tant de la branche des transports et de la logistique que des industriels chargeurs), élus, fonctionnaires, experts (voir le programme de la journée). Mme Anne-Marie Idrac, présidente de France Logistique, est intervenue à divers moments de la journée, en particulier pour l’introduction et la conclusion.
Demande et offre de services logistiques
De ces échanges, il ressort que la demande de transport et services logistiques ne va pas diminuer d’ici à 2050, ni même se stabiliser, malgré les progrès de l’économie circulaire et les efforts de sobriété. La croissance économique n’est pas immatérielle et il n’y a pas de découplage entre volume de fret et activité générale. En revanche, il peut (il doit) y avoir un découplage entre croissance et nuisances du fret et de la logistique (en termes de gaz à effet de serre et autres nuisances locales : polluants, etc.). La demande peut même se complexifier si, par exemple, on trie les déchets avant de les transporter tous ensemble, avec un effet de « dé-massification » des flux affectant leur efficacité immédiate. En outre, de nouvelles contraintes telles que les zones à faible émission (ZFE) et la réglementation du stationnement et des livraisons en zone urbaine appellent une gestion plus différenciée des flux et des types de véhicules qui les assurent.
Pour réduire l’empreinte carbone du transport de marchandises et, à terme, l’annuler, il convient de jouer simultanément sur plusieurs leviers d’action dont, principalement :
- Mieux utiliser les moyens de transport : massification des envois (et ralentissement de certains flux tendus permettant un meilleur remplissage des véhicules), transfert modal vers le rail et la voie d’eau quand les quantités le justifient, qu’existe une infrastructure, que la qualité et le coût ne sont pas trop élevés face à ceux de la route, etc.
- Décarboner les véhicules, le transport routier principalement. Il n’existe pas de solution satisfaisante et unique à ce jour et l’on s’oriente vers un mix énergétique. L’électrification par batteries vaut pour les véhicules utilitaires légers et les camions utilisés sur des trajets courts. Sinon, le GNL est une solution de progrès transitoire, tandis que les biogaz et biocarburants sont décarbonés mais ne sont disponibles qu’en quantités limitées et devront être répartis entre plusieurs usages, en priorité pour ceux où il n’existe pas de solution alternative. L’hydrogène, à ce jour coûteux, ira surtout à l’industrie car il montre un faible rendement s’il est utilisé dans une pile à combustible. Le débat sur l’alimentation en électricité par la batterie ou par l’infrastructure est loin d’être clos. Divers projets d’autoroutes électriques sont expérimentés (selon la technique du caténaire, du rail d’alimentation, des boucles d’induction). Ces mutations énergétiques réclament la mise en place simultanée de points de recharge électrique et d’alimentation en énergies alternatives en quantité suffisante, répartis sur le territoire. À ce jour, les camions électriques coûtent cher et les systèmes d’aide pour les acquérir sont compliqués et d’un montant insuffisant. L’intervention publique est nécessaire pour lancer le mouvement.
Flux et stocks
À la logistique cinétique (le transport), s’adjoint complémentairement la logistique statique (les entrepôts et plateformes logistiques). Le souci d’alimenter les lieux de production et de distribution au plus près, pour réduire les distances de transport, suppose un maillage fin du territoire par les installations logistiques. Contradictoirement à ce souci de proximité, les grands entrepôts montrent de grands avantages, car ils permettent les économies d’échelle, la massification des flux, le traitement de certaines nuisances, l’organisation d’équipements et de services partagés aux entreprises et aux salariés.
Il ne peut y avoir d’industrie verte sans logistique (verte), et les réticences locales face à la logistique valent aussi pour les implantations industrielles et se traduisent par la multiplication des recours.
Les évolutions de la logistique (reconstitution de stocks de sécurité après l’expérience de la covid, développement de la logistique urbaine, ré-industrialisation, etc.) se heurtent d’ores et déjà à une pénurie de ressource foncière (dans la plupart des régions le taux de vacance des entrepôts est très bas), souvent du fait de la réticence des élus en dépit des créations d’emploi et des rentrées fiscales qu’apporte la logistique. La réglementation française est très contraignante par comparaison avec celle des pays proches, les délais d’instruction et réalisation sont trop longs et l’on aboutit à une utilisation peu intense du terrain (avec un taux moyen de 33%). L’objectif de zéro artificialisation nette doit être poursuivi avec discernement (par exemple, les friches urbaines ne se prêtent pas à la logistique lourde).
Logistique et gestion publique du territoire
La gestion de l’espace est dès lors un enjeu crucial pour la logistique, qui doit trouver sa place dans les documents d’aménagement et d’urbanisme (Sraddet, PLU). Quant à la logistique urbaine, elle appelle un traitement explicite dans toutes les agglomérations. En effet, si la nécessité d’une logistique efficace est enfin retenue par les pouvoirs publics (la conférence nationale pour la logistique de 2015 a enfin porté ses fruits), sa compréhension et son acceptation dans l’opinion ne sont pas bonnes. Prévaut souvent une image négative de la logistique, des infrastructures et des flux de transport, des entrepôts, de la qualité des emplois, voire du caractère prétendument improductif de la logistique, en dépit de l’expérience de la covid où la logistique a démontré à tous son caractère vital. À tous les échelons territoriaux apparaît la nécessité d’une intervention publique, pour soutenir et harmoniser les développements logistiques, sans brider l’innovation et les expérimentations, dans une vision à long terme.
Planification : quelle stratégie collective, quels coûts pour les acteurs ?
Le thème de la planification écologique est récent, puisqu’il est apparu lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022. Le Secrétariat général pour la planification écologique (SGPE), sous l’autorité de la Première ministre (et donc à vocation interministérielle) vient de publier ses premiers documents de diagnostic et de propositions. L’exercice est important et inédit.
Contrairement aux efforts précédents de réflexion prospective (par exemple la Prospective des mobilités 2040-2060), le travail du SGPE couvre toutes les activités et, dimension cruciale, leurs interactions. Le transport relève, pour les voyageurs, du thème « mieux se déplacer » et, pour les marchandises, du thème « mieux produire ». Logistique et production sont plus que jamais associées, à l’heure de la ré-industrialisation (et non plus de l’industrie fabless au bilan désastreux).
Ce travail effectue notamment les bouclages intersectoriels nécessaires, et qui appellent des arbitrages exigeants. Il faut ainsi vérifier que la production d’électricité sera à la hauteur de la demande des différents secteurs, prendre en compte la disponibilité limitée de la biomasse, la pénurie mondiale de métaux rares. Il faut aussi s’assurer du financement nécessaire. Chacun convient que la transition écologique sera coûteuse, au moins dans un premier temps, et que la répartition de son financement est une question politique primordiale. Pour le transport par exemple, qui paiera les surcoûts des camions électriques : les transporteurs, les chargeurs, les consommateurs, les contribuables via les budgets publics ? L’exercice n’oublie pas la question clef de la main d’œuvre et des besoins de qualification et donc de formation associés aux transitions à venir.
La planification se décompose en deux moments complémentaires. D’une part l’élaboration d’un plan, lui-même fondé sur une analyse rigoureuse du système, de ses logiques, de ses contraintes et possibilités d’évolution. D’autre part, une mise en œuvre des propositions issues de la phase précédente, sous la conduite d’une autorité politique mais en passant par leur négociation et donc leur amendement. Quelle démarche envisage-t-on menant à l’effectivité de ce plan ? D’ores et déjà est engagée sa décomposition par région, ouvrant à des négociations descendantes et ascendantes, combinant les logiquesde la loi et du contrat. La question de l’évaluation n’est pas encore posée.
Dans ses conclusions, Mme Anne-Marie Idrac souligne que désormais personne ne met en cause la nécessité de décarbonation du transport et de la logistique. Celle-ci passe par une démarche collective des acteurs de la chaîne d’approvisionnement : opérateurs de transport et logistique mais aussi chargeurs. Pour autant, il faut avancer dans un environnement incertain, requérant un effort permanent d’innovation technique et organisationnelle. Quant au prochain Cilog, il serait opportun qu’il apporte des éclaircissements sur la mise en place cohérente des ZFE, sur la simplification et le renforcement des aides à l’acquisition de camions électrique et à la mise en place des bornes de recharge sur les sites logistiques. Enfin, la question de l’emploi et de l’attractivité des métiers logistiques est un enjeu crucial appelant une politique inédite de formation, initiale et permanente.
Cette journée montre combien le fret et la logistique sont entrés dans une phase nouvelle de leur histoire, où l’internalisation des coûts externes dans le système de prix ne suffit plus. Une intervention publique puissante et multiforme s’élabore, alors que la notion de planification revient dans le vocabulaire et les pratiques politiques.