Le mandat européen qui s’achève a été un moment particulièrement fort pour les politiques de l’Union européenne. Confrontée au défi de la mise en œuvre des engagements de l’accord de Paris (2015), l’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux à travers la « loi climat » (2021) : neutralité carbone en 2050 et réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.
Les deux colégislateurs – le Conseil qui réunit les États d’un côté et le Parlement qui rassemble les représentants des citoyens européens de l’autre – se sont ainsi accordés sur des propositions législatives de la Commission particulièrement volontaristes. Présentés dans le cadre du Green Deal (Pacte vert), les textes adoptés déclinent le plan d’action de l’Union européenne pour réaliser la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050. La décarbonation de l’économie à l’horizon 2050 constitue désormais un élément de référence pour l’ensemble des acteurs de l’économie et de la société civile, un élément de référence au double sens du terme : un objectif à atteindre qui appelle, légitime, justifie les moyens qu’on y dédie, ou bien un objectif toujours débattu que certains acteurs souhaitent modifier voire remettre en cause.
Cette stratégie multisectorielle dont l’indicateur principal est défini par les émissions de GES a révélé une question particulièrement sensible pour l’Union européenne. Comment engager la baisse significative et continue des émissions de GES générées par la consommation des services de transport – mobilité et logistique ? Cette question n’est pas anodine : la politique européenne des transports porte en effet deux des quatre libertés de circulation fondamentales de l’Union (personnes, marchandises, services et capitaux) alors que le secteur des transports est dans le même temps le plus gros émetteur de GES, et que ses émissions ne baissent pas.
La politique européenne des transports : de plus en plus intégrée, transversale… centrale ?
Les transports appartiennent au registre des compétences partagées entre l’Union et ses États membres. Si l’on devait résumer le mandat européen qui s’achève du point de vue des transports, on pourrait simplement remarquer que la politique européenne des transports a pris une nouvelle dimension. Elle s’incarne toujours dans les leviers sectoriels bien identifiés (articulation entre réseaux matériels d’infrastructures et réseaux de services dans leurs diverses dimensions techniques, économiques, sociales). Elle appelle toujours des efforts pour améliorer la sécurité et l’efficacité économique des systèmes dans le contexte du marché unique et des harmonisations techniques et sociales ; elle doit continuer d’améliorer les droits des passagers. Mais elle est aussi devenue un enjeu structurant des politiques énergétiques et industrielles. L’objectif de la décarbonation des transports interroge ainsi certains fondamentaux de l’Union européenne (concurrence libre et non faussée, ouverture au commerce international) au moment où les règles du commerce international sont battues en brèche et contournées par les stratégies protectionniste des États-Unis ou de dumping commercial de la Chine par exemple.
La question de la politique des transports a trouvé par ailleurs un nouvel écho à travers les inquiétudes suscitées par la remise en cause de la stabilité politique de notre continent. Avec la guerre en Ukraine, le rôle stratégique au sens militaire du terme de nos réseaux d’infrastructures retrouve une actualité préoccupante.
La loi climat et le Green Deal ont fait entrer la politique européenne des transports dans une dynamique plus transversale, où l’Union européenne cherche une voie pour assurer la décarbonation et la garantie d’une liberté fondamentale qui est au cœur du projet européen : la mobilité.
Les transports feront-ils pour autant spontanément l’objet d’une analyse, de propositions, de débats argumentés entre les listes candidates ? Celles-ci accepteront-elles de déployer le temps et l’énergie nécessaires pour intégrer la complexité des questions et leviers d’une politique considérée encore comme technique, appartenant au registre des nécessités ? Cette liberté fondamentale de circulation est-elle considérée comme acquise, quelles qu’en soient les « externalités », au point de ne pas avoir à s’en préoccuper ? Au contraire, est-elle si fondamentale qu’on travaille encore plus attentivement à sa mise en œuvre et à sa garantie, c’est-à-dire à sa décarbonation volontariste, raisonnée, planifiée – et à quel prix ?
Qu’attendons-nous de la politique européenne des transports ?
A la veille de ce nouveau mandat européen, la politique des transports de l’Union européenne et de ses États membres fait face à des questions d’orientation politique qui semblent de plus en plus complexes. L’objectif de la neutralité carbone en 2050 interpelle de fait les décideurs publics sur leurs priorités, et sur les moyens qu’ils sont prêts à déployer pour assurer la crédibilité d’objectifs intégrés dans les législations et les réglementations nationales. Quels leviers actionner ? Dans quel ordre de priorités, avec quelles complémentarités sectorielles et territoriales, avec quels moyens d’impulsion, financement, réalisation, évaluation – des moyens réglementaires, financiers, contractuels, humains ? Quels sont les effets des décisions passées – doivent-elles être précisées ? Les objectifs sont-ils bien formulés et bien positionnés sur un agenda qui doit intégrer des contraintes territoriales, sociales, industrielles, économiques, financières ?
Alors que le projet européen suscite aussi des débats sur son opportunité comme sur les modalités de sa mise en œuvre, la question de sa compréhension et de son acceptation par les citoyens est devenue majeure. Derrière la technicité des mesures prises par l’Union européenne pour la décarbonation des transports, comment rendre compte des objectifs et des progrès, partager la charge des efforts demandés aux citoyens et aux entreprises, légitimer leurs conséquences sur les modes de vie ? Comment faire adhérer les citoyens européens à la nécessaire décarbonation des transports, répondre aux doutes et inquiétudes qui se font jour depuis plusieurs mois, maintenir l’ambition et assurer sa réalisation dans les délais ?
18 questions pour préciser quelques alternatives et préparer l’Europe des transports de demain
Pour la deuxième fois depuis 2019, TDIE a le plaisir et l’honneur de présenter la contribution de son Conseil scientifique à l’identification des questions de politique européenne des transports qui appellent une orientation politique. Pour TDIE, l’objectif est simple : contribuer à l’identification et à la reconnaissance des questions de politique des transports et favoriser l’expression de propositions argumentées et cohérentes, tenant compte de la diversité des questions auxquelles il faut une réponse politique.
C’est la raison pour laquelle le questionnaire aux candidats est précédé d’un document de synthèse qui présente les principaux faits et chiffres et propose de formuler et mettre en perspective les enjeux de débat et d’orientation politique. Le questionnaire est construit à partir de cinq angles différents sous lesquels on peut regrouper les sujets politiques du point de vue des prérogatives du Parlement européen : 1/ les questions d’orientation générale, 2/ les enjeux du financement des infrastructures et systèmes de transport, auxquels les adhérents de TDIE sont très attentifs, 3/ les éléments relatifs à la poursuite de la dynamique du Green Deal pour les transports, et 4/ les questions relatives aux aspects sociaux, formation et recherche.
Le cinquième et dernier angle n’est pas moins important : il nous paraît absolument nécessaire que les questions de politique des transports soient portées avec détermination par des femmes et des hommes volontaires, intéressés par leur complexité tout autant politique que technique. Quelle place pour les transports dans le prochain Collège des Commissaires ? Quel portage des questions de transport au sein du futur Parlement ?
Fidèle à ses préoccupations et à ses convictions, TDIE intègre la diversité des modes de transport à ses réflexions, et tente, une nouvelle fois, de relever le défi d’un travail qui traite des questions de voyageurs et des questions de marchandises. Nos systèmes de transport répondent à des besoins très différents. Comment améliorer la performance environnementale et énergétique globale ?
Nous espérons contribuer utilement à la mobilisation des candidates et des candidats sur ces questions très importantes pour nos concitoyens, et favoriser ainsi la considération des questions de transport au plus haut niveau de la représentation française au sein du futur Parlement européen.
Philippe Duron et Louis Nègre, coprésidents de TDIE
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