On a pu récemment constater l’absence de la logistique de la loi d’orientation des mobilités (LOM), en passe d’être définitivement votée au moment où ce papier est écrit, si ce n’est à travers certains aspects de la logistique urbaine(*).
Sans se situer sur le plan législatif, le récent rapport de MM. Daher et Hémar établi à la demande des ministres de l’Économie et des Transports Pour une chaîne logistique plus compétitive au service des entreprises et du développement durable(**) semble destiné à combler ce vide. Comme l’indique son titre (éminemment explicite sinon très court), il vise à faire contribuer la logistique, tout à la fois, à la compétitivité économique et au développement durable.
Sa finalité est délibérément pragmatique et à ce titre il tire les leçons d’expériences antérieures. Chacun se souvient en effet de la Conférence nationale pour la logistique lancée par la loi n°2013-431 du 28 mai 2013 « portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports ». L’opération commença par un long travail préparatoire (un comité scientifique dressant un état de l’art en la matière, alimenté en outre par de multiples contributions des organisations professionnelles, des collectivités territoriales et des experts). La conférence se tint le 8 juillet 2015 et fut alors considérée comme un succès : la logistique était, pour la première fois, reconnue comme une fonction primordiale d’une économie moderne, appelant une politique publique interministérielle et une interaction systématique entre acteurs privés et publics pour sa meilleure efficacité. Dans leurs interventions de clôture, les ministres laissèrent espérer une mise en œuvre rapide des principales recommandations émanant des milieux professionnels, des élus, des experts.
Cosigné par trois ministres, le document France Logistique 2025 – Une stratégie nationale pour la logistique fut ensuite présenté en conseil des ministres le 24 mars 2016, et un large comité de suivi fut installé(***). Puis vinrent les élections présidentielle et législatives de 2017. La préparation de la LOM, après celle du « pacte ferroviaire », prit la tête du calendrier politique et la logistique sortit, provisoirement sans doute, de l’ordre du jour. Elle y revient ainsi aujourd’hui.
Le rapport de MM. Daher et Hémar ne vise donc pas à reprendre une réflexion de fond sur la nature de la logistique et sur ses enjeux, estimant que ce travail a déjà été fait. Il vise à surmonter les obstacles rencontrés précédemment et se décompose en deux étapes principales.
Dans un premier temps, il valide un diagnostic nuancé voire inquiétant de la « performance logistique » de la France, selon l’expression de la Banque mondiale. Avec son rapport Connecting to Compete, celle-ci publie périodiquement une évaluation d’un indice de performance (Logistics performance index, LPI) de quelque 160 pays dans le monde, fondé sur l’appréciation de six aspects du système logistique par un panel d’experts (efficacité des procédures douanières, qualité des infrastructures de transport, concurrence sur le marché du fret, qualité des service logistiques, possibilité de suivi des envois, temps d’acheminement à destination) débouchant sur le calcul d’un indice synthétique. À ce jeu, la France est classée, d’une enquête sur l’autre, aux alentours de la quinzième place mondiale, résultat médiocre qui serait à la rigueur convenable si nos voisins et concurrents immédiats (l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas) n’étaient pas précisément les meilleurs au monde. Reprenant terme à terme la comparaison avec ces concurrents, s’appuyant en outre sur de multiples consultations, le rapport établit la liste des points faibles de notre pays, ceux qu’un travail de coopération entre acteurs privés et acteurs publics permettrait de traiter.
Vient alors la deuxième étape, celle de la gouvernance. La question d’organisation d’une telle action, celle sur laquelle la tentative France Logistique 2025 semble avoir échoué, est donc pointée comme décisive. C’est ainsi qu’est préconisée la réunion de l’ensemble des acteurs privés concernés dans une « Plateforme France Logistique », interlocuteur unique des pouvoirs publics au sein d’un « Comité exécutif de la logistique » pilotant la mise en œuvre opérationnelle des actions de redressement de la filière, le tout sous l’autorité d’un « Comité interministériel de la logistique » présidé au plus haut niveau du gouvernement, celui du Premier ministre.
Il est bien sûr prématuré de faire quelque prévision que ce soit sur le succès de cette démarche. Son lancement officiel par le Premier ministre vient d’avoir lieu, les instances de pilotage se constituent. La liste des premières propositions opérationnelles est sur la table : amélioration des formalités douanières, révision de la fiscalité foncière, réduction des délais d’autorisation administrative, renforcement de l’attractivité des métiers logistiques, égalité de concurrence entre transports routiers français et étrangers européens, facilitation des flux dans les ports.
Je me permettrai d’y ajouter une proposition complémentaire : compte tenu de la dispersion et de l’insuffisance des informations nécessaires, il importe de mettre en place un réseau d’observation de la logistique réunissant les principaux producteurs de données en la matière. Un groupe de préfiguration a déjà éclairci le problème, des institutions compétentes se proposent pour contribuer activement à la mise en œuvre. Peut-on en effet piloter un tel projet sans tableau de bord pertinent ? Peut-on définir et mettre en œuvre une stratégie rassemblant acteurs publics et privés sans un outil de partage des indicateurs de performance et d’évaluation ?
Cet effort pour lancer une stratégie pragmatique d’amélioration de la logistique en France, quelque dix ans après la démarche du Aktionsplan Güterverkehr und Logistik – Logistikinitiative für Deutschland du ministère fédéral allemand pour les transports et les infrastructures digitales, mérite d’être salué. TDIE sera assurément attentif à ses développements.
(*) voir : « Loi d’orientation des mobilités : la logistique ignorée ? », Transports, Infrastructures et Mobilité, n° 515, mai 2019
(**) rapport publié le 16 septembre 2019, établi avec l’appui de Mme Maréchal-Deru et MM. Caudes et Labaronne
(***) une présentation de la démarche globale est accessible sur le site du gouvernement