Voyage d’étude de TDIE: Le système de transport londonien, une autre approche ?

Jean-Louis MARCHAND

Président d'Advancity

Deux jours à Londres à l’invitation de TDIE, 30 ans après le déclenchement de la décentralisation en France et   de la « révolution conservatrice » en Angleterre, quelle opportunité pour quiconque s’intéresse aux problématiques urbaines et à la mobilité, ou s’interroge sur la gouvernance des systèmes de transport dans l’organisation territoriale à venir.

Transport for London (en abrégé, TFL), structure mise en place sous sa forme actuelle au début des années 2000, assume la responsabilité de 25 millions de voyages par jour ( !) sur le territoire dit du Grand Londres, c’est-à-dire qu’elle gère tous les modes de transport (y compris le vélo ou la marche à pied…), à l’exclusion du réseau ferroviaire régional ou national.

6,4 millions de voyages en bus (assurés par 23 sociétés privées différentes), 3,1millions de voyages en métro, 11 millions de déplacements en voiture ou en deux cycles motorisés, 500 000 en vélos, 200 000 en taxis… (auxquels s’ajouteront demain les trajets permis par le Crossrail projet de métro rapide au cœur de Londres, d’une longueur de 25 km pour un investissement de 18 milliards de Livres).

« Chaque voyage compte ! », telle pourrait être traduite la devise de TFL (« every journey matters ») ; à l’évidence, TFL est dotée des moyens cohérents avec cette ambition, dans la mesure notamment où elle a la responsabilité entière de la gestion de tous les espaces publics dédiés aux différentes mobilités, et qu’il lui appartient donc d’en assurer à chaque instant un usage optimal.

Elle dispose pour ce faire de l’autorité pour tout déclenchement d’intervention sur les voiries supportant ces mobilités ; particulièrement impressionnante, la visite de l’unique (mais bien-sûr hautement sécurisé) centre de contrôle, où convergent à chaque instant toutes les informations décrivant l’état des différents réseaux, les trafics supportés, les travaux en cours, les incidents subis, les mesures correctrices prises, que ce soit par la possibilité de commande instantanée de plus de la moitié des 6000 feux tricolores de signalisation, ou par la mobilisation d’équipes de policiers, parmi les 1800 en permanence à disposition du centre de contrôle.
500 000 interventions programmées par an sur les 17 000 km de routes du Grand Londres gérées par TFL. Qui pourrait donner un chiffre de même nature sur le « Grand Paris » ? Mais surtout, quand aurons-nous la capacité, sur la métropole parisienne, d’optimiser ces interventions programmables, pour en diminuer les impacts sur la fluidité des circulations, dans les conditions d’efficacité et de maîtrise aujourd’hui observées à Londres ? FURET existe (www.advancity.eu). Quelle TFL parisienne en aura un jour l’utilisation ?

12 milliards de Livres de dépenses, 8 milliards de recettes, principalement perçues directement auprès des usagers, donc un déficit annuel de 4 milliards de livres, actuellement comblé par la puissance publique, et un objectif ,« à terme », d’équilibrer les dépenses et les recettes.

Une volonté de maîtriser l’accès des automobiles au centre de Londres a conduit à la mise en place d’un péage urbain : 11,5 livres est le prix minimum à payer chaque jour pour « entrer » dans le cœur de Londres. Cette « congestion charge » rapporte 120 millions de Livres chaque année, pour un coût de collecte de … 50 millions de Livres ! L’objectif n’est à l’évidence pas de « gagner de l’argent », mais de peser sur la répartition des usages des voieries du centre urbain, en les affectant prioritairement aux transports collectifs, aux mobilités douces et aux véhicules non-polluants : objectif atteint.

Caractéristique importante du système de transport londonien : près des deux tiers de son coût sont directement supportés par les usagers. D’où une dynamique forte au sein de TFL pour rapprocher autant que faire se peut le prix payé par l’usager de l’utilisation réelle qu’il a du réseau. TFL anticipe l’arrivée prochaine (et probablement massive) des cartes de crédit bancaires à lecture sans contacts, pour faire assurer sous l’identifiant bancaire du voyageur la gestion au plus près de son itinéraire, en surveillant, en temps réel, que le prix à payer reste inférieur au niveau de garantie accordé par la banque.

TFL développe également ses propres applications de paiement par smartphone, voulant tout à la fois un système au moins aussi performant que la carte d’abonnement actuelle (« Oyster »), et rester indépendant des opérateurs de téléphonie.

Les investissements engagés par TFL dans le développement des systèmes de gestion des paiements par cartes bancaires et par smartphones sont très importants et stratégiques. Une tarification au plus juste du déplacement réel nécessite un contrôle systématique en sortie du « titre de transport » (quelle qu’en soit la nature), ce qui suppose une adaptation des équipements dans toutes les gares, prévue pour être achevée en 2017.

30 millions de Livres, c’est le prix payé par Siemens pour la construction de « The Crystal », un bâtiment exemplaire de ce que l’on sait aujourd’hui réaliser pour économiser l’énergie et les ressources naturelles nécessaires à sa construction et à son fonctionnement. Outre des services de Siemens, le bâtiment abrite un « showroom » ouvert au public et dédié à la ville de demain, qu’on la dise smart, intelligente, durable ou numérique ; quelle interpellation pour le Président d’Advancity ! A quand un tel équipement à Paris ? A voir des enfants de dix ans s’initier, en jouant, au fonctionnement de la ville dans l’ensemble de ses dimensions, y compris financières, on se dit que les anglais seront rapidement mieux armés que d’autres pour construire les modèles économiques qui demain réguleront les villes, incitant notamment les habitants aux comportements vertueux sans lesquels les équipements urbains, aussi sophistiqués soient-ils, ne résoudront aucun des problèmes auxquels ils doit être fait face, qu’il s’agisse de consommation d’énergie, de ressources ou d’espaces . Ils tâtonneront, bien-sûr, mais ne doutons pas qu’ils avanceront, comme ils l’ont fait dans la transformation de leur système ferroviaire.

10 millions de voyageurs transportés en 2013 : c’est à la lueur de ce chiffre qu’ont pu être appréciées les présentations faites par les cadres (français) d’Eurostar, tous visiblement stimulés par les conditions concurrentielles dans lesquelles ils travaillent aujourd’hui et anticipent demain. Ils sont loin les tâtonnements des années 1990 dans la mise au point de la régulation ferroviaire anglaise, ceux-là même qui prêtaient au plus grand scepticisme sur le continent, au prétexte notamment de la sacro-sainte sécurité. Le témoignage de Keolis, devenu un acteur incontournable de la mobilité outre-manche, confirme la pertinence, la fiabilité et la flexibilité d’un modèle qui, sans jamais s’affranchir des contraintes techniques propres aux systèmes ferroviaires, s’attache en permanence aux services rendus et à la satisfaction du client.

L’innovation n’est pas que technique ; juridique et contractuelle elle contribue aussi à l’émergence de nouveaux services et à la baisse des coûts pour l’usager ; encore faut-il que la puissance publique assure efficacement les fonctions essentielles qui lui incombent, de normalisation, de simplification et de régulation : c’est à ces évidences que nous sommes renvoyés. « Sont-ils si fous ces anglais ? »

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