VUL : le rapport bienvenu de Damien Pichereau

Michel Savy

Président du conseil scientifique de TDIE

Le député Damien Pichereau a remis à la ministre des Transports mi-avril son rapport sur les VUL : Les véhicules utilitaires légers. Pour une meilleure régulation et des usages maîtrisés. Pour sa préparation, M. Pichereau a auditionné un grand nombre d’acteurs professionnels, administratifs, politiques et académiques parmi lesquels, longuement, le délégué général et le président du conseil scientifique de TDIE.

La face cachée du système de transport routier

Ce rapport est intéressant et opportun à plus d’un titre. Il s’intéresse à ce que l’on peut considérer comme la face cachée du système de transport routier(1). Alors qu’une littérature relativement abondante est consacrée au poids lourd (sans oublier les nombreux travaux consacrés à l’automobile), les études et publications sur le VUL sont rares. Les VUL sont pourtant environ douze fois plus nombreux que les poids lourds ! On compte en France, en 2017, 6,2 millions de « camionnettes » (auxquelles s’ajoutent 590 000 véhicules utilitaires dérivés d’une automobile) contre 300 000 camions et 200 000 tracteurs routiers, à côté de 32 millions de voitures particulières. La flotte de VUL est très hétérogène, ce qui complique son analyse. Sa propriété est répartie entre catégories très diverses : artisans de tous métiers, entreprises de tous secteurs, administrations, ménages. Ses usages également sont très divers, mêlant souvent transport de personnes et transport d’objets : un VUL est un outil de loisir et de bricolage pour les particuliers, une boîte à outils et un stock mobile pour les artisans, un instrument de mobilité et de transport « pour compte propre » pour les entreprises, un instrument d’activité principale pour les entreprises de transport « pour compte d’autrui ». Il est ainsi logique que la première des propositions du rapport soit de « renforcer la connaissance statistique des VUL ».

Dysfonctionnements et concurrence déloyale sur le marché du fret

L’attention du parlementaire a été attirée par plusieurs dysfonctionnements, qui tendent à s’aggraver au point d’appeler une réponse politique. On a depuis longtemps constaté la vétusté d’une partie du parc de VUL (source de pollution notoire), la pratique trop fréquente du compte propre en logistique urbaine (source de faible productivité du transport pour une forte contribution aux nuisances et à la congestion des rues), voire l’existence d’une messagerie « informelle » échappant aux contrôles et à l’impôt, etc.

Ces problèmes prennent une dimension nouvelle quand l’usage dérégulé des VUL vient dégrader le marché du fret routier de moyenne et longue distance, déjà très fragile. Alors que l’usage des poids lourds est assez strictement encadré (présence à bord d’un tachygraphe contrôlant le respect des règles sur les temps de conduite et de repos, formation obligatoire des conducteurs en plus du permis de conduire, restrictions de circulation le weekend, etc.), les VUL échappent à toutes ces contraintes. On observe que des VUL, généralement immatriculés dans des pays de la partie orientale de l’Union européenne et conduits par des chauffeurs des mêmes pays, ne respectant pas les règlementations des temps de conduite ni les principes du travailleur détaché (le salaire minimal national s’applique à tous les travailleurs présents, quelle que soit leur nationalité), fréquemment en surcharge, assurent un volume croissant de transport de fret sur longue distance. Cette pratique constitue une concurrence déloyale à l’égard du transport par poids lourd dûment réglementé. S’y ajoutent de fortes externalités sociales négatives : bilan énergétique et environnemental dégradé (un VUL consomme environ 6 fois plus de gazole qu’un poids lourd par tonne transportée), effets sur la sécurité routière de temps de conduite trop longs, de repos dans des conditions inconfortables, contribution accrue à la congestion des infrastructures, etc. Il faut donc mettre un terme à ces dérives.

L’industrie du transport est d’autant plus sensible aux mécanismes de concurrence déloyale – dumping social et fiscal mais ici également dumping organisationnel et technique – que les facteurs de production du transport (le travail : les conducteurs et le capital : les véhicules) sont tous mobiles. C’est de l’intérieur que, faute de contrôle, les marchés nationaux sont ainsi déstabilisés.

Les propositions du rapport couvrent l’ensemble du dispositif

De tels problèmes résultent d’une mauvaise utilisation des VUL à plusieurs égards. Leur résolution ne passe donc pas par une unique mesure miracle mais par un ensemble de dispositions complémentaires. Damien Pichereau propose ainsi quelque 33 propositions d’action, qu’il classe en six rubriques :

  • professionnaliser le métier de conducteur de VUL (pour renforcer la sécurité routière et la qualité des prestations),
  • mieux contrôler ce mode de transport grâce à de nouveaux outils plus connectés et plus efficaces (sanctionner et réduire les pratiques de concurrence déloyale en s’appuyant sur les technologies de l’information),
  • améliorer l’état du parc roulant (contrôles techniques plus fréquents),
  • responsabiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique (application des règles par l’ensemble des acteurs, harmonisation à l’échelle européenne des règles d’accès et d’exercice de la profession de transporteur et de la réglementation sociale),
  • aider les professionnels à convertir leurs flottes vers des véhicules plus propres,
  • soutenir les collectivités territoriales dans leur politique d’urbanisme (la logistique constituant désormais une composante importante des politiques urbaines)(2).

Une démarche systémique et régulatrice

Si le rapport identifie d’emblée les problèmes économiques et sociaux posés par un usage inapproprié d’une part de la flotte de VUL, l’analyse s’élargit à l’ensemble du système de fret.

Damien Pichereau confirme ainsi combien situation nationale et contexte européen sont, en matière de transport et de politique des transports, indissociables. Ses conclusions se fondent sur le constat que le système de transport, s’il repose massivement sur les mécanismes du marché (encore que le transport pour compte propre relève d’une logique spécifique d’arbitrage entre production interne à une firme et appel au marché), ne peut fonctionner de manière « durable »(3) sans une régulation effective(4). Un constat très largement partagé par TDIE.

Notes

(1) cf. « The unknown part of the transport system: the light duty vehicle », avec Sabrina Tenfiche, in Blanquart Corinne et al. (ed.), Towards Innovative Freight and Logistics, ISTE Ltd. and Wiley, 2016.

(2) Cf. Des marchandises dans la ville. Un enjeu social, environnemental et économique majeur, Terra Nova, 2017.

(3) C’est-à-dire en satisfaisant aux exigences à long terme de la société, sous l’angle économique, social et environnemental.

(4) On sait que ce point divise notoirement les États membres de l’Union pour l’adoption des « paquets routiers » en suspens, entre les pays de la partie occidentale partisans d’une harmonisation sociale et fiscale parallèle à la libéralisation du marché du transport routier de marchandises et ceux de la partie orientale qui prônent le laisser-faire.

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